« On ne peut vivre à Paris sans opéra. Il semble que ce soit une chose aussi nécessaire que du pain ». Faite en 1781, au lendemain du deuxième incendie de la salle de spectacles de l’Opéra de Paris, cette constatation du chroniqueur de la Correspondance littéraire est loin d’être anodine : elle témoigne des relations passionnées qu’entretiennent l’Opéra de Paris et ses amateurs d’un double point de vue, musical et patrimonial. Le terme même d’« opéra » est à cet égard emblématique, puisqu’il désigne à la fois l’œuvre dramatique mise en musique et le lieu où cette œuvre est représentée : l’opéra est un rite social, durant lequel la musique est exécutée, pour être consommée par un public, dans un endroit qui lui est dédié. Or, au cours du XVIIIe siècle, l’Opéra de Paris est victime en 1763 puis en 1781 d’incendies spectaculaires, causes de dégâts impressionnants et d’une très vive émotion qui mérite d’être questionnée. Comment en effet expliquer l’ampleur des réactions que ces événements suscitèrent, alors même que la salle de spectacles n’avait pas été conçue pour la spécificité du théâtre lyrique et n’était pas adaptée à ses besoins ? Pour cela, trois phénomènes doivent être mis en lumière. Le premier est l’adhésion passionnée du public pour l’opéra, dont le comportement au cours du spectacle est la preuve manifeste. Le comportement au cours du spectacle, qui confondrait l’amateur d’opéra contemporain par son audace, en est la preuve manifeste et le témoignage de la capacité d’illusion ainsi que de l’extraordinaire aptitude du public à se laisser prendre au jeu. Le deuxième est la manière dont ces événements tragiques sont relayés non seulement de la part des autorités, mais également des chroniqueurs et des mémorialistes. Alors que d’ordinaire les données concernant l’histoire de l’Opéra de Paris dans les sources administratives à proprement parler sont fuyantes, instables et sujettes à caution, dans ce cas précis les documents d’archives se font précis et détaillés. Et les sources imprimées et périodiques ne manquent pas non plus de décrire avec force détails les incendies et leurs conséquences, avec un goût prononcé pour le pittoresque et l’anecdotique. Le troisième est l’espoir suscité par la destruction d’une salle de spectacles ancienne et inadaptée. A deux reprises les incendies viennent mettre un terme à près d’un siècle de débats sur la commodité de la salle et représentent une occasion inespérée pour que l’architecture de l’Opéra se transforme comme s’était transformée la musique depuis Gluck sur le théâtre de l’Académie royale de musique.
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