Dans ses nombreux ouvrages consacrés à l’opéra français, Catherine Kintzler a montré l’insertion de ce genre dans le système poétique du théâtre classique. En me fondant doublement sur l’analyse des textes règlementaires qui régissent l’Académie royale de musique ainsi que sur les registres de recettes à la porte qui permettent d’établir la programmation fine du répertoire, j’aimerais relire les « quelques éléments d’un système poétique » de Catherine Kintzler comme constituant aussi un système politique. La création d’une Académie royale de musique (Opéra de Paris) remonte à 1672, lorsque le roi Louis XIV en confère le privilège à Jean-Baptiste Lully. Édifiée sur un terrain éminemment politique, l’institution a originellement vocation à produire des divertissements pour la cour, préciser les règles de l’art et surtout servir la gloire du souverain. Au fil du XVIIIe siècle, son statut évolue, subséquemment à la « décentralisation des plaisirs » qui consacre désormais le triomphe de Paris sur Versailles : l’Opéra passe ainsi d’un mode de gestion personnel à un mode de gestion étatique, d’abord confié à la municipalité parisienne (1749-1780), puis directement intégré jusqu’à la Révolution au département des Menus Plaisirs. Ainsi, réfléchir à l’Académie royale de musique sous l’Ancien Régime nécessite de prendre en compte un système artistique complexe où entrent en jeu non seulement des éléments d’ordre littéraire, musical et dramaturgique, mais également des problématiques esthétiques et politiques. Le présent article se propose donc d’étudier comment, tout au long de l’Ancien Régime, cette forme complexe qu’est l’opéra français s’élabore et se recompose selon un idéal double, à la fois esthétique et politique, et de montrer comment le genre lyrique sérieux, projet poétique rapidement devenu projet politique, témoigne d’un double processus d’institutionnalisation et d’officialisation de la musique d’une part et d’adaptation des normes du politique à la musique d’autre part.